Red Universe Tome 1 Chapitre 23 Episode 10 "Artoc"

Je descendais vers la salle des machines, passant en revue le contenu des derniers envois à nos « exodés expatriés » avec deux sous-officiers, quand toute l’affaire débuta. Arlington, Phil, Adénor et Fabio Ouli visitaient une colonie octotes à une journée de Transition d’ici et les premiers retours étaient positifs.
« … si les gars de Ragnvald fouillent les bagages, alors on va utiliser le vieux principe des 'mules' : on place le nécessaire dans de grosses capsules antirayonnement qu'ils doivent absorber. Ça passera les contrôles sans problème.
Et le quota de reliques sacrées, il est enfin prêt ? Cela fait deux jours que je le demande. Transmettez à Adénor, on a besoin d’autres cheveux d’elle pour le groupe nordiste. C’est bien qu’ils viennent aussi ceux-là : des durs à cuire, mais une fois lancés ils ne lâchent rien… »
Les gars étaient bien en peine de suivre le rythme, mais on ne pouvait ni se permettre d’assigner trop de monde à ces opérations secrètes ni retarder le programme. Brouilleurs électromagnétiques, communicateurs, livrets de formation à la clandestinité et, bien sûr, tout le nécessaire aux multiples rites de notre nouvelle liturgie (que l’on inventait au fur et à mesure). La liste n’était d’ailleurs pas exhaustive…
La diffusion de la religion de Phil et Adénor avançait à un rythme de sénateur, on sentait la main de l’Empereur-Dieu un peu partout pour nous mettre des bâtons dans les roues. Là-bas, il s’agissait de contrôles inopinés aux espaces d’embarquement et, ici, il osait même convertir des exodés sincères à sa croyance puis les utiliser comme taupes. Saloperie de cyborg… Je devais admettre qu’il était un adversaire redoutable, n’ayant rien à envier à l’ancien régime royal : moins violent et plus efficace.
C’est à ce moment que mon communicateur sonna, on me demandait d’urgence à l’entrée. On accourut aussi vite que nos jambes nous le permirent, mais c’était déjà trop tard.
Le hangar principal était envahi par une vingtaine de soldats et techniciens de Ragnvald, dirigés par le fameux Artoc en personne. Il arborait fièrement sa tenue officielle, les armoiries bien en évidence sur le heaume. En dessous brillaient ses pupilles dorées de Mental, particulièrement inquiétantes.
Par ordre de Son Ultime Grandeur, nous venons procéder à la première phase du démantèlement de cet appareil et à l’affirmation de Sa présence à bord, durant les travaux.
Toi, lance un appel général, je veux tout le monde ici dans les deux prochaines minutes, VITE ! Je me retournai vers Artoc, il suffisait de gagner quelques minutes. Quant à vous, je vous demande de sortir. Vous n’êtes pas sous votre juridiction et l’Empereur-Dieu n’a pas d’ordres à donner en ce lieu.
Il est partout, hérétique, et nous passerons.
Comme quoi, si Godheim était futé, ses sous-fifres n’étaient pas du même calibre. Artoc leva un de ses doigts et tous ses hommes en armes (il y avait deux extraterrestres à ses côtés) firent claquer le chien de leurs fusils-mitrailleurs ou prirent en main une sorte de poignée dont j’ignorais l’utilité.
D’un coup d’œil, je mesurai que nous étions moins nombreux et moins bien préparés qu’eux. Je tentai une ultime mise en garde, la méthode d’Arlington pour les cas désespérés.
Artoc, ne faites pas de bêtises. Il y a encore beaucoup de monde dans ce transporteur, vous ne feriez pas le poids. On pourrait en rester là et…
THL’A !
Aucune idée de l’origine de cette langue, mais ses soldats bondirent. Plusieurs pointèrent ces espèces de poignées sur nos gardes et, dans un éclair bleu, ils les firent s’effondrer au sol, comme foudroyés. Les autres furent mis en joue ou maitrisés rapidement, moi le premier. Je fixai mes hommes à terre alors qu’on me ligotait fermement. Artoc suivit mon regard et ajouta :
« Ils seront bons pour quelques jours de grosses migraines… On vous emmène avec nous, direction votre cité intérieure. Ensuite, vous nous montrerez les lieux de fabrication de tous les instruments interdits que vous expédiez à vos conjurés un peu partout sur Ragnvald, et on s’en saisira. En avant ! »

Incroyable de naïveté, tout de même, je n’en revenais pas. Même la fière armée royale ne serait pas entrée en si petit comité dans un engin comme Transporteur 3. Mais Artoc et ses bonshommes, si. Ce type était censé percer les pensées de chacun ici, alors pourquoi ne comprenait-il pas ? Ce qui devait arriver arriva : au deuxième détour d’une passerelle, on fit face à une trentaine de soldats armés jusqu’aux dents accompagnés, au bas mot, d’une bonne centaine de civils brandissant barres de fer et autres couteaux de cuisine.
L’extraterrestre bourru souleva un sourcil, il ne s’attendait pas à ça. Quelle andouille ! Il gronda, visiblement contrarié :
Veuillez vous écarter, nous agissons sous la haute autorité de Sa Majesté l’Empereur-Dieu Godheim !
C’est sûr que là, ça doit les faire trembler. Artoc, vous pouvez encore abandonner la partie.
Tais-toi, sale…
Sale quoi ? répondis-je du tac au tac. Cette histoire sentait très mauvais, mais je commençais à voir monter un doute en moi. Dites-moi, Artoc, c’est bien l’Empereur-Dieu en personne qui vous a demandé de venir, n’est-ce pas ?
L’autre me projeta son poing dans l’abdomen, ce qui eut pour effet de me faire tomber genoux à terre. Le coup était très rude, les non-humains sont d’une force insoupçonnée ! Il me saisit par le col et me releva d’un bras à sa hauteur puis me plaqua la poignée aux rayons bleus contre la tête.
À VOUS TOUS ! ÉLOIGNEZ-VOUS OU IL MOURRA. À cette distance, humain, le paralyseur brule tout.
Vous êtes ici… … de votre propre chef, avouez-le !
TAIS-TOI ! Il n’a pas besoin de me parler pour me donner Ses ordres, il sait tout. Il lui suffit de me laisser faire.
L’explication d’un endoctriné est toujours à la limite de l’irrationnel. Si j’avais besoin d’une confirmation, Artoc venait de me la donner. Il devait en avoir marre de notre travail de sape des fondamentaux de ses croyances et de Ragnvald et avait décidé de prendre les choses en main. Et l’Empereur-Dieu laissait faire.

En face, on attendait visiblement quelque chose. On comprit vite ce dont il s’agissait, avec les bruits derrière nous. Une seconde foule armée venait d’apparaitre et bloquait la sortie. Cette fois, les soldats de Ragnvald lancèrent des coups d’œil inquiets à leur chef. Il n’en tint pas compte, croyant sans doute toujours que le bluff suffirait. Je me forgeais une conviction : il ne pouvait ou ne voulait pas lire nos pensées. On voyait bien que la situation lui échappait.
De mon côté, je commençais à avoir du mal à respirer, sa main me serrait trop fort.
DERNIÈRE SOMMATION ! VOTRE SECOND VA MOURIR SI VOUS NE VOUS ÉCARTEZ PAS !
Je crois que… … Godheim vous a sacrifié sur une partie dont vous ignorez les enjeux, mon bon… Artoc. Il savait… … pertinemment… que vous ne passeriez pas, l’idée était juste de donner un… … un message, comme quoi il n’était pas responsable de toutes les actions… … conséquentes aux nôtres.
C’est bon, dites-lui qu’on a comp… reposez… moi… … J’étouff…
Les autres ne lui laissèrent pas le temps de se décider. Le mauvais calcul d’Artoc était double. Il pensait qu’user de la force avec les exodés fonctionnerait, ce qui n’était pas du tout le cas, et il oubliait que les plus modérés étaient déjà en route pour la dispersion. Il ne restait dans le transporteur que les hommes et les femmes les plus attachés à ce vaisseau, quand ce n’étaient pas les plus fanatisés à Phil et Adénor. Pas du genre à parlementer trois heures… Ils attaquèrent donc.
Je profitai de sa stupéfaction pour lui envoyer mon genou en pleine tête avec mes dernières forces. Il me lâcha et je m’effondrai, la respiration sifflante. Lui se remit vite et pointait son arme sur moi quand la première barre de fer vola et le blessa à l’épaule.
Le sang des extraterrestres est bleu foncé, ce fut une découverte.
Je hurlais ce que je pouvais aux exodés, comme à ceux de Ragnvald, pour éviter un massacre. Certains soldats et techniciens comprirent, d’autres résistèrent, d’autres enfin firent feu. On dénombra deux morts de notre côté, cinq du leur et une bonne vingtaine de blessés plus ou moins gravement, de part et d’autre. Pendant qu’on portait sur des civières tout ce monde à l’hôpital, je ne pus m’empêcher de noter combien mes paroles, mes ordres, avaient été ignorés durant l’assaut. Je craignais que la rage, la ferveur dans les yeux des exodés n’obéissent plus à aucune règle… ou plutôt si : celle de Phil et Adénor.
Nous maintenions désormais en otage, à bord de Transporteur 3, un groupe de Ragnvald, et le sang avait fini par couler entre nous.
La réaction de l’Empereur-Dieu n’allait certainement pas tarder. Elle risquait de se montrer violente.


Soutenez Reduniverse.fr - Prod: PodShows, Réa: Raoulito, Relecture: Kwaam, JMJ, Acteurs: Andropovitch: Carrillo, Lorendil: Artoc, Derush: Hadaria, Montage: Raoulito.

Les génériques de début et de fin de ce chapitre ont été exceptionnellement créés à partir de "Grasslands" de "Ramzoid"
https://soundcloud.com/ramzoid/grasslands-1

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