Red Universe Tome 1 Chapitre 23 Episode 5 "2eme phase"

Avec l'apparition de Transporteur 4 tracté à travers l’ouverture dimensionnelle par les corvettes de Ragnvald, l’Exode était finalement regroupé. La dernière fois, cela remontait au départ pour la Passe de Magellone.
Parmi les derniers arrivés, un homme s'impatientait de pouvoir étudier la technologie de leur mystérieux allié. Le professeur Schwarzkof attendait l’ouverture du sas de secours avec le second et les chefs de section ; une navette de transport venait d’accoster de l’autre côté et le mécanisme de pressurisation était en cours. Vernek Junta pénétra en premier, comme il seyait au commandant du vaisseau, et salua l’équipe. Il signifia « sa joie de revenir chez lui » en serrant les mains qu'on lui tendait : son absence pour raisons diplomatiques sur Transporteur 1 prenait fin… après un fiasco mémorable. On lui résuma autant que possible les avaries en l’entrainant vers le centre de commandement. Le reste du groupe en provenance de la navette entra et Schwarzkof se focalisa sur eux : des techniciens et ingénieurs du transporteur d’Arlington, des membres de cet empire de Ragnvald et le capitaine Carrillo.
Bonjour officier et bienvenue. Je suis le professeur Schwarzkof, responsable scientifique de ce transporteur. Quand pensez-vous que nous pourrons commencer ?
Bonjour professeur. Oui, je suis au courant que vous voulez tout savoir. L’installation des équipements estampillés Ragnvald prendra un peu plus d’une semaine, mais les ressources de… de cet empire sont vastes et les réparations de tous les transporteurs débuteront conjointement.
Schwarzkof débordait de joie, tel un enfant devant de nouveaux jouets.
Formidable ! Alors par quoi commençons-nous ? Avez-vous des plans, des concepts ou quelques formules ? Je suis vraiment impatient, impatient, im-pa-tient !
Hé, hé… Je vous renvoie dans ce cas vers les ingénieurs de Ragnvald ici présents, professeur. Ils sauront vous renseigner, je ne suis qu’un facilitateur, mon travail est de faire profiter votre équipage de mon expérience avec ces matériels.
Carrillo serra la main des autres responsables et la petite troupe se dirigea vers le plus gros des défis : l’installation des nouveaux Compresseurs dimensionnels de Ragnvald.

*

Quand je pense que me voici promu spécialiste des technologies de Godheim.
Moi… Andro Carrillo. C’est risible. Le partage du Yesmaïl et la dispersion, l’intégration par la dissolution de l’Exode dans un ensemble plus vaste, tel était le plan original de Godheim. Spéculez comme vous voulez, mais je ne l’aime pas du tout cet « Empereur-Dieu » d’opérette. Qu’il soit notre allié de circonstance n’enlève pas à mes yeux qu’il nous ait kidnappés avec Transporteur 3 pour nous imposer Sa Loi.
Dès le lendemain de l’orgie, je me réveillais dans les bras d’une… enfin de plusieurs… enfin bref, je me réajustais et revigorais les derniers indolents à coups de pied. Je ne décolérais pas : nous étions tombés dans un piège. Subtil, certes, vicieux même, mais réel : quelque chose nous avait tourné la tête, mais quoi ? Tout ce que je savais, c’était que Fabio, le Mental qui nous accompagnait, avait été emmené à l’infirmerie, souffrant d’une violente migraine.
Ce genre d’évènement risquait d’émousser les certitudes chez certains des nôtres, favorisant l'acceptation de la dispersion et du « recyclage » de notre transporteur. On s’était tous laissé aller et on risquait maintenant d’en payer le prix.
Avec Arlington, je supervisais le retour de tous à bord et l’interdiction de ressortir du vaisseau durant les prochaines vingt-quatre heures. Je veillais personnellement à ce qu’aucun membre de Ragnvald ne pénètre dans ce qui était, hélas, notre ultime sanctuaire. Pas question de « Mais je l’aime ! » ou de « Laissez-nous, c’est notre droit ! », je demeurais inflexible, allant jusqu’à user de la force.
Pour le coup, j’avais choisi des gardes adeptes de Phil et Adénor : ces deux-là avaient montré une voie dans notre sens, restant entre eux et retournant au transporteur parmi les premiers. Leurs adeptes rouleraient donc dans la même direction que moi. Ce choix allait porter à conséquence, mais je l’ignorais encore.
Lorsqu’Arlington nous rejoignit, je pensais qu’il allait nous sermonner pour notre zèle à la limite de l’activisme, mais il n'en fit rien. C’est ce que j’apprécie le plus chez lui : aux côtés d’une façade humaine se dresse un militaire pragmatique et intelligent. Il nous comprend et nous soutient sans réserve.
Cependant, c'était une autre raison qui le poussait à nous tenir compagnie ce matin-là :
Dites à vos hommes d’accélérer, Carrillo. Fabio m’a contacté depuis l’infirmerie, « IL » arrive.
Pardon ? Quoi… une attaque ? répondis-je, réfléchissant déjà à remonter le pont et élever une barricade.
Mais non.
Plus futé que cela, mon ami. Regardez là-bas : le voici…
Une centaine de petits avatars de l’Empereur-Dieu approchaient doucement, clopinclopant, tous avec ce sourire serein et ce corps émacié.
Quelle hypocrisie ! Des androïdes recouverts de chair synthétique, voilà ce que Godheim appelait ses « représentations divines » : des choses bourrées de senseurs qu’il pilotait à distance. Je méditai quelques secondes devant cette forme de « petits vieux » humbles et compatissants… encore un autre piège de ce pseudo dieu.

Nous avions quelques minutes. Je pressai les derniers contrôles en ouvrant un sas secondaire et ainsi libérer l’entrée principale. Arlington, fin stratège, prit les devants et descendit au pied du pont d’embarquement où il accueillit les premiers avatars. Je me précipitai à ses côtés, plusieurs gardes armés sur mes talons. Le petit vieux le plus proche commença :
Bien le bonjour, colonel Arlington. Vous êtes-vous bien remis de cet Yesmaïl ? J’ai personnellement félicité les organisateurs, ce fut un excellent cru.
Bonjour également, Votre Grandeur. Je pense qu’il est inutile de vous résumer ce que vous savez déjà, n’est-ce pas ? Seriez-vous, cependant, disposé à m’éclairer en retour ? Je suis très intrigué par votre présence… maintenant et en si grand nombre. Pourrais-je en connaitre la raison ?
Bien évidemment, Colonel. Nous venons promouvoir la prochaine dispersion pour vous et vos exodés. Il est parfaitement normal que ce concept rencontre une certaine résistance, nous allons donc simplement répondre aux questions qui se poseraient.
Pas de trace d’Artoc ou d’un quelconque soldat de Ragnvald. Bien évidemment, c’était la seconde phase d’un processus bien rodé. Après avoir abattu les dernières barrières morales lors de la sauterie, il envoyait ses gentils petits vieux à la voix douçâtre enjôler, dans un « pacifisme » étouffant de fausse naïveté, les plus récalcitrants. C’était simplement machiavélique.
J’échangeai un regard avec Arlington. Il saisissait, bien sûr, tout aussi bien que moi, ce qui se jouait ici. D’un signe de tête envers les gardes restés plus haut, je confirmai l’option armée et tous se préparèrent. Et tant pis si cela représentait un futur incertain.
Arlington décida de gagner du temps. Il fit quelques pas face à la foule d’avatars, longeant ces clones qui lui répondaient l'un après l'autre, comme un seul interlocuteur qui se serait promené avec lui. Je l’accompagnai, laissant les gardes sur le pont d’embarquement, prêts à tirer.
Vous savez, Éminence, lança-t-il l’air un peu ennuyé, je me disais que la perspective d’un nouveau long voyage pourrait contrecarrer le projet même de la dispersion. Peut-être devrions-nous repousser l’idée encore de quelques jours ?
Ne vous inquiétez pas pour cela, Colonel. Tout point de Ragnvald se situe à environ une semaine de Transition de Monte-Circeo. Cela dit notre technologie est bien supérieure à la vôtre, sans vous froisser.
Hmmmm… je vois, répondit Arlington, dubitatif. Mais si j’étais un de mes exodés, j’hésiterais à me séparer des miens pour aller me perdre dans un quelconque tunnel de planétoïde. Malgré, bien sûr, Votre Auguste Présence protectrice.
Il me sembla percevoir une sorte de ricanement parcourir la foule d’avatars. L’avais-je imaginé ? Toujours est-il que Godheim ne se lassait pas de cette conversation, ô combien sous-entendue.
Les communications sont parfaites entre les mondes de Ragnvald, vous avez pu vous en rendre compte hier soir avec les holoprojections. Et il y a plus d’espace dans nos « tunnels » que dans votre transporteur. Combien de douches êtes-vous autorisé à prendre chaque semaine, Colonel ?
Les familles ne seront bien évidemment pas séparées, elles resteront unies, c’est un voyage volontaire. Ragnvald n’est pas une dictature.
Non, pas exactement, murmurais-je. Arlington me lança un regard réprobateur tandis que quelques avatars me dévisageaient.
Capitaine, la religion qui lie notre empire n’est en rien comparable à une dictature, elle est le ciment qui nous unit.
Arlington leva rapidement la main alors que je m’apprêtais à rétorquer. Il reprit :
Cette démonstration de force, même sous une forme non violente, reste une démonstration de force, Sire Godheim. Je pourrais vous empêcher d’entrer et vous attendriez des lustres avant d’abandonner la partie.
En emprisonnant vos exodés à l’intérieur de ce transporteur ? Allons, colonel Arlington, vous n’êtes pas comme cela, nous le savons tous deux.
Je sentis une sorte de fatigue s’abattre soudain sur nous. Le colonel donnait des signes en ce sens également, comme les gardes de l’entrée que notre ballade nous avait fait rejoindre. Cela me fit tout de suite penser à l’orgie. Quelque chose de diffus pesait sur nous, à nouveau.
J’allais proposer de riposter en transformant quelques avatars en Roubiano, quand Arlington prit la parole :
Ne nous méprenons pas, Votre Majesté. Je vous donne, bien entendu, libre accès à Transporteur 3, mais pour trois heures seulement. Au-delà, je vous demanderai de vous retirer, et… j’ajoute que votre petit jeu de pression psychique ne me plait pas du tout. Veillez à ne plus y avoir recours, si vous désirez de nous une collaboration franche, merci par avance.
Les dieux n’ont pas la nécessité d’artifices pour convaincre, cher Momumba. Votre proposition est sage et je l’accepte, malgré vos remarques frisant l’hérésie.

Trois heures plus tard, à la minute près, l’armée d’avatars débarquait. Elle entrainait à sa suite de nombreux exodés, bien plus que je n’avais osé l’imaginer. Je serrai les dents.
Lorsque Phil Goud apparut à l’entrée, mon sang se glaça. Lui aussi ? Mais il ne faisait qu’accompagner la petite Catherine, une de ses groupies octotes. Ainsi la secte avait choisi la dispersion, mais qu’espérait-elle à s’éloigner de son « sauveur » ? J'observai les mines inquiètes de mes hommes à l’entrée et leur soulagement, voire une nouvelle motivation, lorsque Goud retourna vers sa cabine sur un dernier salut pour la jeune fille.
Mon contacteur vibra, c’était Arlington.
Mon colonel ?
Carrillo, je pense qu’une visite de la Cité intérieure de Transporteur 3 s’impose pour donner suite au départ de tant des nôtres. Il y a surement des structures que l’on pourrait améliorer ou réparer, voire de la place à gagner. Je vous propose de nous retrouver dans une heure au quartier tropicalien, pour commencer.
Je… bien, Mon colonel. J’y serai.
Très bien ! Nous allons inviter à… l’étude des cas, nos amis spécialisés en mécanismes des sas et communications de toutes sortes. Passez le mot ! À tout à l’heure.
Phil Goud et Adénor Kerichi étaient tous deux rattachés aux sections d’ingénierie des sas et « Communications de toutes sortes » me faisait penser aux Mentaux, donc à Fabio Ouli.
Le colonel préparait quelque chose. On allait lancer la controffensive et je m’en félicitais.


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Les génériques de début et de fin de ce chapitre ont été exceptionnellement créés à partir de "Grasslands" de "Ramzoid"
https://soundcloud.com/ramzoid/grasslands-1

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